CANARDO le canard au whisky

 Le Canardo des premiers récits

Première planche de Canardo, (A SUIVRE) n°2, 1978.


Créé par Benoît Sokal, Canardo est un personnage qu'on peut aisément relier à l'aventure (A SUIVRE), car il apparaît dès le second numéro de mars 1978. D'abord en récits courts en noir et blanc (de 4 planches principalement), puis à partir de 1980 en histoires longues à suivre et en couleurs. Suivront 8 autres aventures publiées dans les pages du mensuel jusqu'en 1996, et notre canard sera présent dans l'ultime numéro en décembre 1997. Selon les amateurs, et j'en conviens, il s'agit là des meilleures histoires de l'enquêteur au bec plat.
Canardo poursuit par la suite son chemin en albums, cahin-caha, un 25ème tome est sorti en septembre 2016.

Attachons-nous à la naissance de ce personnage, qui emprunte autant à Donald qu'à Philip Marlowe, offrant un coté comique et un autre philosophe de troquet.


Sapé comme Columbo, mais loin d'avoir son raffinement et son sens du détail dans les enquêtes, voici un canard qui n'a d'inspecteur que le titre. En fait, dans ses premières apparitions, Canardo n'est rien du tout. Il se dit ancien flic, mais est surtout un pochtron avec toujours une bouteille dans la poche, un paumé qui survit et vit de petits boulots où son incompétence est louée. Anti-héros par excellence, ce Canardo se laisse malmené par les évènements, il est le larbin de service (un canard laquais ?), dépassé et désabusé, mais qui s'en fout. Il se sait perdu, pas grave...



Dans la première histoire publiée, "La mort d'Hortense", Canardo revient sur sa jeunesse, une enquête sur le décès d'une poule de la ferme. Revêtu de son imper sans rien d'autres, le clope au bec, il montre une carte de policier et se met au boulot. Physiquement il diffère de son apparence future, ses pieds sont encore palmés et griffus, son bec moins large, et ses mains sont nues.
Peu à peu l'aspect de Canardo évolue, Sokal l'habille d'une chemise et cravate, tout en conservant son allure débraillée. Il cache ses mains dans des gants blancs, et ses palmes perdent ses ongles pour s'arrondir, devenir de bons gros panards. Canardo s'humanise, mais pas trop.


Les autres protagonistes se présentent de même, plus ou moins vêtus, bipèdes, anthropomorphes, avec des tronches carabinées. On y trouve des animaux communs, chiens, chats, souris, rats, des oiseaux de passage ou de mauvais augure, renards, loups, singes de tout poil, plus rarement des animaux exotiques... Dans cette bande à la noirceur terrible, peu de gueules sympas. Les suppôts du grand capital sont des rapaces défraichis, les flics sont des clebs, les tenanciers de bar sont des rats de cave,  les poules des prostituées... Benoit Sokal a les boules, il vomit la société giscardienne.

Un graphisme inspiré des Idées Noires de Franquin

 L'auteur ne s'embarrasse pas avec son z-héros, pas plus qu'avec les autres intervenants. Canardo est un loser, les gens sont des pourris, tricheurs, voleurs, malfaisants en costard-cravate ou pas. Dans une histoire, "Le flic qui m'aimait", parue dans le numéro double 6/7 en juillet 1978, Sokal fait mourir le canard. Dans une autre, "La nuit du n°065724" (n°12, janvier 1979), il est un prisonnier qui finit maboul. Dans "On achève bien les héros" (n°14, février), il se tire une balle dans le crane... Vive la joie (gulp !).

La mort de Canardo (heureusement il a la peau dure)

Les lecteurs de l'époque ont pu se demander si l'auteur tenait tant que ça à son personnage. Ainsi en 1979 Canardo disparaît des pages de (A SUIVRE) au profit d'un autre héros, le petit Marcel Boudard. Mais l'année suivante le non-inspecteur revient, et s’apprête à vivre sa première longue aventure.

Une bande qui annonce le retour du héros dans (A SUIVRE) 22 (novembre 1979)

Le graphisme de Sokal s'éclaircit, il s'éloigne du style franquinien des premiers récits. La technique change, les trames remplacent les traits de plumes nerveux et les hachures. Dans la dernière histoire courte, "L'étranger" (n°33, octobre 1980), Canardo ressemble à ce qu'il sera au final. Le canard noir cousin de Daffy Duck du début a fait place à un personnage plus râblé, arborant un improbable bec, au crane en obus surmonté de 3 poils (plumes ?). Un canard  toujours autant imbibé, blasé, mais faisant preuve de plus de cynisme, et de finesse d'esprit. Et avec plus d'humour, aussi.

Premières cases de "L'étranger"

C'est  l'éditeur indépendant belge Peperland qui rassemble les récits courts parus en 1978/79 en un album, sobrement intitulé "Canardo", sorti en 1979 (réédition en 1982 et 1985). Casterman ne le fera qu'en 1991, reprenant la totalité des épisodes.










"Le chien debout", une histoire qui se développe en 43 planches, est un épisode charnière de la série. D'abord au niveau du graphisme. Bien qu'en couleurs, les premières planches sont proches de ce que faisait Sokal dans ses courts en noir et blanc, alors que les dernières annoncent le style qu'il va établir pour la plupart des albums à venir. Si l'on observe les Fernand ou Canardo du début et ceux de la fin, c'est flagrant.
Le personnage de Canardo évolue également. Même s'il se fait jeter d'un bar dès sa première apparition, comme le poivrot qu'il était, on constate dans le dénouement de l'histoire que ce n'était pas parce qu'il était soul ou à sec qu'on le valdinguait. Le canard se révèlera bien plus malin qu'on pensait...
La personnalité de Canardo naît dans ce récit, ainsi derrière ses airs de blasé, de dur revenu de tout, de stoïque qui n'hésite pas à tuer, pointent des relents de sentiments, d'empathie, qui annoncent un être qui va aimer, aider, souffrir. Un canard au grand cœur...

La rencontre entre Fernand et Canardo, 3ème planche.


à suivre


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire