Des crocodiles de BD on en connait, à commencer par ceux avec qui Tintin et Milou ont eu maille à partir lors de leur errance au Congo. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que ces braves sauriens à la large gueule remplie d'incisives acérées n'ont pas bonne presse, rares sont ceux qui ont le beau rôle. Ils sont classés parmi les ennemis viscéraux des hommes, des gros lézards mangeurs de chair humaine. Donc c'est acté, ces animaux de l'ordre des crocodilia seront du coté des méchants. Leur voracité est mise en avant, c'est un ennemi incurable des tarzanides de tout poil, dès qu'un quidam ose pénétrer dans l'eau de la rivière. A croire ces archosauriens toujours affamés, alors que lorsqu'ils ont empli leur estomac, leur digestion est si lente (leur dentition ne permet pas la mastication) qu'un adulte peut rester des mois sans manger.
Alors on les massacre, comme ce père blanc du Congo...
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L'oeil de Zoltec © Tully & Solano Lopez |
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Tintin au Congo © Hergé |
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Le coup du bois dans la gueule par Rex Maxon (TARZAN n°50, éd. Mondiales, août 1947) |
Tarzan le premier a évidemment eu son lot de bastons avec les crocos, ainsi que l'illustre la planche ci-dessus due à Rex Maxon (dessinateur du ape man en même temps que Hal Foster). Les strips originaux datent de 1947, et à la même période, de l'autre coté de l'Atlantique (et de la Mer du Nord), le jeune André Franquin lance Spirou et Fantasio pour leur première grande aventure sur la piste d'un héritage, qui les amènera jusqu'en Afrique. Où la traversée d'une rivière s’avéra aussi dangereuse...
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Extrait de "L'héritage" © Franquin et Dupuis |
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Des crocos prêts à mâcher Chewing-gum Bill... |
Un de ces crocodiles a ciblé Trottinette, sans doute jugeant là un excellent apéritif. La planche ci-dessous décrit très bien le suspense terrifiant de la scène. Mais apprécions comment Calvo, grand maître du noir et blanc, a renouvelé la meilleure manière de neutraliser un crocodile en BD, à savoir l'empêcher de refermer ses terribles mâchoires sur sa proie. Et savourons le sel des commentaires de l'avant-dernière vignette.
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© E.F. Calvo & Futuropolis 1986 |
Mais d'abord place à la science ! Enfin, celle de Buffon et son "Histoire naturelle" écrite au XVIIIème siècle, que le maître animalier Benjamin Rabier s'est plut à illustrer dans un ouvrage publié en 1924 par l'éditeur Garnier. Je vous laisse apprécier ces textes et images, qui sollicitent plus notre imaginaire que nos connaissances zoologiques.
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Le Buffon choisi © Rabier, édition Circonflexe, 2009 |
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Cela date, tout de même. Aussi rétablissons une certaine vérité
concernant les crododiliens, avec la perception qu'en a un autre grand
spécialiste de la faune : Crocodile Gotleeb ![]() |
Le poisson d'avril des animaux |
Dans la "Rubrique-à-brac" Gotlib met en cases de nombreux animaux où ils ne s'y retrouvent pas souvent à leur avantage. Notre archosaurien n'y échappe pas. Ainsi dans le n° 440 de PILOTE (de 1968), la RAB évoque le premier avril zoologique. Un brave crocodile ouvre une large gueule afin de permettre à l'oiseau-qui-lui-nettoie-les-dents d’officier. Pan ! Ni une ni deux, l'espiègle volatile lui coince un bâton entre les mâchoires, laissant le croco désemparé.
Huit semaines plus tard, le duo revient, pour une hilarante séquence dédiée à ce fameux oiseau, que le courrier nombreux reçu par Gotlib lui permet désormais de désigner sous son vrai nom, le pluvian.

Autre cas étrange, celui de la poule qui élève un croco parmi ses poussins, à son grand dam. Ici le commentaire est freudien...⇓
Une autre fois, l'exemple de l'archosaurien qui découvre à ses dépens ce qu'il en coute d’empiéter le territoire d'un hippopotame.

© Gotlib, Dargaud.
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Toutefois apportons une petite précision zoologique à ce brillant exposé. L'ordre des crocodilia se partage en trois familles, celle des alligatoridae, des crocodylidae et des gavialidae. Cette dernière comporte une seule espèce, gavialis gangeticus ou gavial du Gange. La seconde, la plus répandue, recense des espèces que l'ont rencontre de l'Amérique à l'Océanie, mais principalement en Afrique et Asie du sud/sud-est. La première famille se compose elle des caïmans, vivant exclusivement en Amérique latine, et des alligators, habitant des States, voire du Mexique et de la Chine.
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Première mascotte de l'UF (1913) |
D'ailleurs les étudiants de University of Florida de Gainesville adoptent dès les années 1910 l'alligator comme mascotte. Plus tard prénommé Albert, il lui sera adjoint une femelle, Alberta, en 1986. Devenu emblème, les crocodiliens gagnent en sympathie. Walt Kelly le premier présente un spécimen particulièrement attachant. Aussi dans les années 70, la mascotte universitaire ressembla à un des célèbres habitants du Okefenokee Swamp, le dénommé Albert, ami de Pogo Possum.
Albert Alligator (POGO de Walt Kelly)
Dans l'univers de la bande dessinée états-unienne, Albert est certainement l'alligator le plus célèbre. Personnage principal du strip "Pogo", au même titre que Howland Owl, Churchy LaFemme ou Beauregard Buggleboy, Albert en impose par sa prestance et son aplomb qui font oublier son incompétence.
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Première apparition de Albert et Pogo dans ANIMAL COMICS en septembre 1942 |
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AC n°1, couverture de H.R. McBride |
Albert est représenté dans un style réaliste caricatural, le corps allongé et une bonne bouille, une gueule à quatre dents seulement, des yeux rieurs. Pas de griffes non plus, il ne fait pas peur. Il se tient parfois debout, et use de ses mains. Il peut se déplacer sur deux jambes, ou à quatre pattes.
Albert est, dans ces premières histoires, le personnage autour duquel tournent les intrigues. Il est l'ennemi de Bumbazine et des habitants des marais, et joue un rôle bien plus important que l'opossum. Sa personnalité est la plus aboutie parmi les protagonistes. D'ailleurs dans le n°8 de ANIMAL COMICS Walt Kelly compose une planche-gag pour lui seul. Il y en aura d'autres par la suite. Il fait également l'objet de petits contes illustrés.
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ANIMAL COMICS#8, pg2 (avril 1944) |
Son aspect a déjà changé, à l'instar des autres personnages, le graphisme s'est arrondi. Notre alligator y perd ses dents, ainsi que son coté prédateur, tout en gardant son bon appétit. Le manger est une thématique importante dans ses histoires. Dans le récit "Albert holds that tigah" (AC #10, août 1944) alors qu'il doit combattre un tigre (dans les marais américains ? Improbable ! ), Albert adopte une attitude menaçante et redevient un alligator prêt à mordre en un style semi-réaliste. Mais très vite il reprend son aspect funny.
C'est à cette période aussi que Kelly peaufine le langage des marais, qui fera la spécificité de la bande. Parallèlement Pogo Possum lui aussi tend vers ce qu'il sera dans les strips.

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FOUR COLOR #105 (1946) |
Le 30ème numéro de ANIMAL COMICS sorti en décembre 1947 est le dernier de la collection. On retrouvent certains épisodes dans des FOUR COLOR. Les aventures de Pogo, Albert et consorts se poursuivent dans un nouveau comic book, POGO POSSUM, qui va connaitre 16 sorties entre 1949 et 1954. Le changement d'intitulé témoigne du choix de Walt Kelly de mettre en avant son petit opossum. Notre alligator sera bien évidemment toujours très présent dans les récits.
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POGO POSSUM #1 (1949) |
La suite pour Kelly et ses amis des marécages se déroulera sous forme de strip, à partir de 1948 dans le NEW YORK STAR.
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Premier strip où apparait Albert, en octobre 1948 |
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Cette vedette de la télé ne l'est pas forcément des comics, mais comme tout personnage de cartoons, il a eu droit à une version BD. Wally Gator est une création du studio d'animation Hanna & Barbera au tout début des années 60. Une première série est diffusée sur la TV états-unienne en 1962/63 dans le cadre de l'émission pour enfants The Hanna-Barbera New Cartoon Series.
Bien que la chanson du générique le présente comme un alligator des marécages, Wally est en fait un animal de zoo, soumis à la surveillance du scrupuleux gardien Mr Twiddle (M. Tourniquet en France). Un instinct primitif peut-être le pousse à s'échapper de sa cage pour découvrir le monde extérieur et espérer une vie meilleure. Mais les évènements malheureux qu'il y subit l'amènent à retrouver son home-sweet-home de zoo. C'est ainsi à chaque épisode.
Ce crocodilien qui parle est coiffé d'un pork pie hat, chapeau popularisé par Buster Keaton, et arbore un col blanc et des manchettes (comme Yogi). La classe ! Personnage connu, Wally Gator est donc adapté en BD, mais ce ne sera pas une consécration. Il est le héros de quelques récits courts, mais plus souvent est un compagnon d'aventures (ou mésaventures) de ses collègues Yogi Bear, Huckleberry Hound, voir Scooby Doo.
Ainsi Wally Gator est au sommaire des comics Gold Key des années 60, faisant sa première apparition BD dans le n°1 des 'Band-Wagon'. On le lit dans des comics dédiés à l'écurie Hanna-Barbera (quelques 'Golden Comics Digest', 'Cave Kids', 'Huckleberry Hound', 'Magilla Gorilla'). Plus tard c'est Marvel Comic's Group qui édite des fascicules reprenant des BD du studio (comme les 'Hanna-Barbera Parade' en 1971 puis les 'Laff-A-Lympics' en 1978). Mais aucun titre à la gloire de Wally Gator.
Wally fait l'objet d'ultimes aventures chez DC dans le comics 'Cartoon Network Present' en 1997. Une histoire est visible sur le blog du scénariste Sam Henderson ici (dessins de Gary Fields).
En France très peu de reprises de ces bandes (aucune ?), alors qu'en Grande Bretagne parut dans les années 1972/73 un hebdomadaire titré HANNA-BARBERA FUN TIME où l'on retrouve l'alligator. On doit se contenter d'un petit livre illustré publié par Whitman France en 1976, titré "Les aventures de Wally Gator".
Il s'agit d'une transcription d'un album paru en 1963 dans la collection 'Tale A Tale' de Whitman, sous le titre "Wally Gator- Guest what's hiding at the zoo". L'histoire écrite par Eileen Daly est illustrée par l'artiste canadien Mel Crawford, un ancien de chez Disney et Western Publishing.
Allez, one more time : "Wally Gator is a swinging alligator in the swamp..."
Walli Gator
♬ Wally Gator is a swinging alligator in the swamp.
Extrait du célèbre générique
He's the greatest perculator when he really starts to romp.♬
There has never been a greater operator in the swamp. ♪ See ya later, Wally Gator.

Bien que la chanson du générique le présente comme un alligator des marécages, Wally est en fait un animal de zoo, soumis à la surveillance du scrupuleux gardien Mr Twiddle (M. Tourniquet en France). Un instinct primitif peut-être le pousse à s'échapper de sa cage pour découvrir le monde extérieur et espérer une vie meilleure. Mais les évènements malheureux qu'il y subit l'amènent à retrouver son home-sweet-home de zoo. C'est ainsi à chaque épisode.
Ce crocodilien qui parle est coiffé d'un pork pie hat, chapeau popularisé par Buster Keaton, et arbore un col blanc et des manchettes (comme Yogi). La classe ! Personnage connu, Wally Gator est donc adapté en BD, mais ce ne sera pas une consécration. Il est le héros de quelques récits courts, mais plus souvent est un compagnon d'aventures (ou mésaventures) de ses collègues Yogi Bear, Huckleberry Hound, voir Scooby Doo.
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Vous les reconnaissez ? |
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#1 d'avril 1962 |
Wally fait l'objet d'ultimes aventures chez DC dans le comics 'Cartoon Network Present' en 1997. Une histoire est visible sur le blog du scénariste Sam Henderson ici (dessins de Gary Fields).

Il s'agit d'une transcription d'un album paru en 1963 dans la collection 'Tale A Tale' de Whitman, sous le titre "Wally Gator- Guest what's hiding at the zoo". L'histoire écrite par Eileen Daly est illustrée par l'artiste canadien Mel Crawford, un ancien de chez Disney et Western Publishing.
Allez, one more time : "Wally Gator is a swinging alligator in the swamp..."
© Hanna & Barbera
********** Les alligators du Mississipi (Lucky Luke)
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Des alligators à l'affut du Daisy Bell... |

Après avoir convoyé en Louisiane un troupeau de bêtes à cornes, le lonesome cowboy va se frotter aux bêtes à dents.
Dans l'épisode "En remontant le Mississipi" paru dans SPIROU en 1959, Lucky prend le parti du capitaine Barrows contre son rival Lowriver, lors d'une course entre leur deux bateaux à aubes, le Daisy Bell et le Asbestos D. Plower. L'enjeu, l'exclusivité de la ligne Nouvelle Orleans-Minneapolis. Evidemment, le capitaine Lowriver n'a aucune envie de respecter les règles, et tous les mauvais coups lui seront permis.
Dès la couverture de l'album, on comprend que les alligators se posent en arbitre, alléchés qu'ils sont. Et s'ils peuvent au passage se sustenter d'un ou deux bonshommes, ce sera pas mal...
On les remarque au fil des cases aux aguets, surveillant les immenses bateaux transportant tant de chaire humaine.
Mais hélas pour ces pauvres bêtes, les quelques hommes qu'ils auraient pu chopé dans le fleuve ce sont révélés plus coriaces que prévu, et le déjeuner est tombé à l'eau...
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Têtenfer Wilson, pas digeste... |
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...et Pistol Pete pas mieux. |
© Morris & Dupuis
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La petite fille Bois-Caïman
(Livre deux) éd. 12 Bis, 2010
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Gare aux doigts ! (Bois-Caïman, planche 86) |
Cette petite aura ainsi appris à connaître les marais, et à se méfier des bois flottants...
Et puis elle aura compris que les caïmans sont aussi les gardiens des bayous.
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Planche 139, Zabo ne tirera pas. |
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A l'instar de nombreux animaux, les crocodiliens sont présents dans la production Disney. Et le public les connait, popularisés par les dessins animés élaborés par le maître et ses équipes. On ne s'y attaquera que sommairement, d'abord parce que Coquefredouille s'intéresse principalement à la BD, ensuite et surtout parce que des sites web spécialisés Disney y consacrent des pages. Pour exemple, en français, celui-ci, "http://personnages-disney.com", concis et clair, d'où émane la page ci-dessous, à partir de laquelle on peut suivre plus précisément plusieurs personnages. On y apprend l'essentiel, aussi inutile de s'y attarder.

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Ali Gator & Hiacynth Hippo, dessin préparatif de Les Blair |
On a évoqué le crocodile de "Peter Pan" surnommé Tick Tock Croc, mais voyons ce qu'il en est de celui présent dans la version de Régis Loisel, version pas très choupinou pour le cas...
Et dès la première apparition du bestiau à la planche 40 du tome 1 on constate la différence ! Un mastodonte à la gueule édenté, aux yeux jaunes menaçants, qui ne lâche pas ses proies. Il tourne autour du bateau au mouillage dans une crique. Dans ce navire, des pirates, chargés par leur capitaine de plonger à la recherche d'un trésor. Le problème dudit capitaine est donc d'éloigner suffisamment le crocodile afin de permettre à ses sbires de trouver ledit trésor.
Dans le roman originel écrit par James Matthew Barrie, le crocodile poursuit inlassablement le Capitaine James Hook, après lui avoir avalé sa main (coupée par Peter) et un réveil. L'animal symbolise le temps et la mort qui attend inéluctablement l'adulte qu'est Hook, à la différence de Peter qui refuse de vieillir. Ce pourquoi ils sont ennemis d'ailleurs.
Régis Loisel place son histoire avant ces évènements, et leur donne une explication. C'est là l'objet de son entreprise. Donc son crocodile n'a pas encore ingurgité la main ni le réveil du capitaine.
L'énorme archosaurien est le gardien du trésor des êtres fabuleux qui habitent l'île, Neverland ou le Pays Imaginaire. Une des sirènes, Poteline, éprise du captain, lui a révélé l'existence de ce trésor. Désormais le cupide personnage n'a qu'une idée en tête, s'accaparer ce butin, même s'il doit sacrifier tous ses hommes.

Mais les scènes les plus terribles sont plus loin. Dans le tome 4 "Mains rouges", le capitaine décide de trucider Poteline, qu'il ne peut absolument pas saquer, et après l'avoir blessée la rejoint sur des épaves pour l'achever. Mais le gardien saurien surgit, et s'en prend au colérique chef des pirates. La séquence se déroule sur plusieurs planches (28 à 37), démontrant au passage le talent de Loisel qui maitrise tant le déroulé que le suspense, et l'humour. Terrible ! Voir la planche 32 ci-dessous.

Autre séquence tragique, limite gore, dans l'épisode suivant ("Crochet"). M. Mouche, qui surnomme le crocodile gros pépère et le gave du contenu des poubelles, pense avoir trouver la solution pour le neutraliser. Par un pantin vétu d'une redingote, censé représenter le capitaine et leurrer le gros. Se croyant débarrassés du gardien, les pirates mènent une autre expédition sur l'île. Mais pour échapper aux indiens, ils se perdent dans un marécage. Soudain résonne le driiinnnggg d'un réveil, et là panique à bord ! Un des pirates se fait choper par le monstre qui le broie dans sa gueule ensanglantée. Se croyant à l'abri dans une grotte, le capitaine et les survivants s'aperçoivent que c'est l'antre de la bête, et lui échappent de justesse. On n'est plus chez Disney, là.
Le dernier opus de cette admirable BD comporte encore une scène où intervient le fatal crocodile. Une ultime apparition, un autre meurtre cannibale, dont la victime est Rose, petite maman des enfants perdus. Instant tragique qui heurte les esprits, mais que le temps qui passe si vite sur l'île imaginaire fera tomber dans l'oubli. Le gardien aux dents longues et à l'estomac bien rempli reste en place dans son antre, et le réveil ingéré lui rappelle que le petit être colérique qui commande aux gens du bateau sera bon à croquer. Vraiment, comme on le chante dans "Peter Pan" :
" Never smile at a crocodile
No, you can't get friendly with a crocodile... "
© .Loisel & Vents d'Ouest
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Lockjaw the alligator

Mobilisé pendant la WWII, Kirby risqua sa vie lors de la libération de la France, notamment durant la terrible bataille de Metz en 1944. De retour au pays il reprend son activité de dessinateur, avec son collègue Joe Simon. Mais aux States le marché du comic book est saturé, trop de productions. Le duo se retrouve à travailler pour Hillman Comics de Ed Cronin.

La première histoire de 7 planches paraît dans le n°10 de mai 1947. Elle nous apprend comment le professeur Microbe J. Butterbrain, en expédition dans les Everglades, fait connaissance avec un surprenant spécimen des crocodiliens. Surpris d'avoir affaire à un alligator qui parle, qui plus est affublé d'un chapeau melon et effectuant sa toilette, le prof va l'emmener à Big City, où les ennuis commencent.
Le principal ressort humoristique de la bande est comment Lockjaw utilise le pauvre prof comme un club de golf, pour se faire comprendre d'un interlocuteur qui ne veut entendre raison. Un argument massue !

Mais la carrière de Lockjaw sera de courte durée. Après quatre épisodes, réalisés par Joe Simon et Jack Kirby, la bande disparaît des pages de PUNCH AND JUDY. Car c'est à cette époque que le tandem lance le concept des romance comics (YOUNG ROMANCE chez Prize), dont le succès sera immédiat.
Le nom lockjaw peut se traduire par tétanos, donc maladie sévère. Mais si on le décompose, lock fait référence à une fermeture, au fait de fermer à clé, et jaw signifie mâchoire. Quand on sait que le crocodilien possède une des plus puissantes mâchoires du règne animal, cela ce tient...
Pour finir, notons que "Lockjaw the alligator" n'est pas le seul funny animal produit par le duo pour le titre de Hillman. Les compères réalisèrent aussi "Rover the rascal" (#9) qui met en scène une famille de chiens, et trois récits de "Earl the rich rabbit", un lapin qui se la coule douce... à découvrir ici.
© Kirby, Simon, Hillman.
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Prémolaire, une dent contre le système ?
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N° 48 de décembre 1976 |
Mais passe mai 68, la rébellion face à Goscinny à PILOTE, puis la mise en place des pages d'actualité. La BD se politise, Mouminoux y participe.
Chez Fleurus on n'en est pas là. L'hebdo J2 JEUNES, successeur du mythique CŒURS VAILLANTS, devient à son tour FORMULE 1, avec un premier numéro sorti en octobre 1970 dans la continuité.Pourtant...

Mouminoux nous présente un paria, crocodile parmi les humains, et en plus sans le sou. Il devra donc mendier (quelle honte, mais parfois la faim peut le justifier), ou alors ruser. Derrière ce concept si souvent utilisé par des humoristes (depuis Felix the cat ou Charlot Chaplin), Mouminoux y colle une critique de la société de consommation alors en pleine expansion, où l'on ne veut voir ni les exclus ni la pauvreté. N'oublions pas les luttes de l'association ATD Quart Monde à cette époque.
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Les quatre bandes du FORMULE 1 n°11 du 14 mars 1973 |
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Prémo rencontre son créateur |
Prémolaire se fait même souvent avoir par un autre clodo, le comble pour lui qui se pense au dessus du commun des mortels. De plus, la poisse le poursuit, et notre croco se retrouve parfois au poste. A ce propos il possède dans le dos une poignée dont l'agent se sert pour le transporter au commissariat. Une allusion certainement à la maroquinerie en peau de croco, dont Mouminoux, qui a longtemps vécu dans la dèche, ne doit pas être amateur...

* rappelons que les crocodiliens ne possède que des incisives
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FORMULE 1 n°1 du 2 janvier 1974 |
Des n° 1 au 19 de 1980, Prémolaire est le héros (malheureux) d'une histoire à suivre, "Les bons, les brutes et Prémolaire". Une aventure farfelue qui préfigure celles futures de Eugène Krampon de la série "Le Goulag". Un ton plus adulte, tant dans les intrigues que graphiquement. Après avoir été complice involontaire de Jojo la Ferraille, Prémolaire est suspecté par le commissaire Baluchon qui le fait passer pour un membre de la bande à Bébert, qui alors va chercher à s'en débarrasser. Prémolaire ne devra sa vie après avoir avalé un micro explosif qu'à ses sucs gastriques excessivement efficaces. Sa condition de crocodile lui est utile, pour une fois. La suite est du même tonneau, et Prémolaire s'en tirera de justesse. Un polar étonnant pour le jeune lectorat de cet hebdo des éditions Fleurus.
Mais FORMULE 1 n'est pas à la fête, ni DJIN le descendant d'ÂMES VAILLANTES, destiné aux filles. Les deux titres fusionnent en un seul, TRIOLO, qui ne pourra plus publier autant de BD. L'occasion pour la rédaction de pousser Mouminoux vers la sortie, avec Prémolaire et Riffifi (une autre bande animalière qui avait trouvé refuge dans FORMULE 1 après avoir été éjectée de TINTIN).
Prémolaire disparaît, mais l'éditeur Glénat reprend une grande partie des gags et récits en 4 albums entre 1978 et 1980.
Dans un dossier consacré à la production de Mouminoux chez Fleurus et plus précisément à "Prémolaire", HOP ! 143 (septembre 2014) précise ceci : « Prémolaire est le portrait moral d'un copain de l'auteur représenté sous la forme animale. »
En tous cas Mouminoux aura exacerbé la réputation de sale bête du saurien pour montrer une image des sans-rien et des exclus du système productiviste et consumériste. Tout en mettant en avant leur dignité, comme Prémolaire qui malgré ses déboires n'a jamais plonger dans la délinquance ou le délit. La resquille, la débrouille, pas le vol ni la tôle...
© Guy Mouminoux, éditions Fleurus, éditions Glénat
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Auguste et Croco, habitants de la Jungle![]() |
Croco |
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Auguste |
Auguste est un des fous de la Jungle en folie. C'est un pote à Joe le tigre, Gros Rino et tous les membres de l'asile sylvestre créé par Godard et Delinx (se rapporter à la page "Les oufs de la Jungle" ici).
Si Auguste est le poète des hôtes de ces bois, il est aussi le dragueur des hôtesses de cette jungle. Il taquine la muse autant que la gente féminine. Il se veut peintre, musicien, écrivain, comédien, bref, il n'a rien à voir avec un sauvage saurien.
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Où l'on retrouve le gag du pluvian... |
Graphiquement on lui prêterait des faux airs de Albert de la bande à Pogo, désigné ci-dessus. Lui non plus n'a pas de dents, et ses formes sont toutes en rondeurs. Mais c'est un affectif là où son ainé floridien est un prosaïque. Amateur de Walt Kelly, Christian Godard se détourne de l'image du crocodile aux dents longues pour faire de Auguste un personnage dont l'ambition se heurte à son manque de courage à vaincre les difficultés.
Un antique Auguste fut le premier des empereurs romains, et on lui doit l'adjectif signifiant majestueux, digne, imposant. Si notre crocodile est auguste, ce ne peut être que dans le domaine des arts (bien qu'on puisse en douter). Mais Auguste est aussi le nom d'un clown, celui tout bariolé qui fait rire par ses gestes désordonnés et ses grimaces, à l'opposé de son partenaire le rigide Clown Blanc. Notre Auguste est ce clown, souvent affublé d'un chapeau, et ses attitudes grotesques sont sans doute à rechercher dans ses tentatives artistiques. A pleurer (de rire) des larmes de crocodile...
Croco est le compagnon de Fastefoude, enfant indien de la forêt tropicale. Les deux sont les principaux protagonistes de la série qui porte leurs noms, "Croco et Fastefoude". Quatre albums édités par Casterman entre 1999 et 2002. Gilbert Bouchard, vieux briscard de l'humour, signe ces gags dessinés par le non moins briscard de la BD Pica, alias Pierre Tranchand.
Le crocodilien et le garçon sont copains comme cochons. Quoique. La garantie de l'amitié entre ces deux personnages est sujette à l'estomac du premier, un crocodile qui a toujours les crocs (je ne l'invente pas, c'est le titre du tome 2). C'est là le ressort comique de la série.
Le cadre est une forêt, sorte de jungle amazonienne, mais qui côtoie la brousse à son orée. Pourquoi pas. Nos z-héros ne sont pas seuls, on dénombre python, tigre, singes, éléphant, rhino voir même zèbre, c'est l'Arche de Noé. Ha oui ! Il s'y trouve en sus des hommes, blancs le plus souvent, dignes représentants de la civilisation de la même couleur, et en cela porteurs de projets nocifs à l'écosystème local. Généralement ça ne se finit pas bien pour eux.
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On est pas loin de "La Jungle en folie", le rhinocéros porte le même débardeur que Gros Rino. |
D'aucuns ont vu dans cette série un dérivé comique du" Jungle book" de Kipling, justifié par le fait que le tigre est appelé Ce cher Khan, que le boa a des faux airs de Kaa, et que le petit Fastefoude pourrait être un cousin de Mowgli. Soit ! Mais il n'y a pas de crocodiliens dans "Le Livre de la jungle" *. Ici oui, et un fameux ! Celui là au moins colle à la réputation de son espèce, c'est à dire que quand il ne sommeille pas, il cherche à bouffer. De la chair humaine de préférence. Et c'est là qu'il y a embrouille avec son jeune collègue, qui n'accepte pas son régime alimentaire. Mais difficile de lui faire changer ses habitudes, et quand à le mettre à la diète...
* Dans "Le second livre de la jungle", si. Le Mugger Ghaut de la nouvelle "Les croque-morts".
Cela dit Croco n'a la dent dure que contre ceux qui ne sont pas tendres avec lui, comme il le précise lui-même. Il n'est pas méchant, c'est un camarade jovial, toujours prêt à s'amuser ou tenter diverses expériences rigolotes. A la différence de son cousin Crocodile Dandy qui est plutôt tourné vers le bizness, une sorte de requin des affaires. Croco n'est pas fut-fut, certes, mais c'est un bon copain. Et puis s'il croque au passage un missionnaire ou un promoteur bétonneur, ben, c'est pas si grave...
© Christian Godard & Mic Delinx, Bouchard & Tranchand, Casterman
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Il existe une espèce rare, Crocodilus Palombius, ou le caïman de Palombie. En voici un exemple :![]() |
Extrait du t26 du Marsupilami, par Colman et Batem (2012) |
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Monsieur Crocodile a beaucoup faim
Joann Sfar - Bréal Jeunesse, 2003 (rééd Gallimard Jeunesse juin 2010)

Mais comme il ne lui en est point aisé de trouver de la nourriture à son goût et en quantité suffisante, l'archosaurien passe son temps à ça. Donc pas de loisir, ni de partie de plaisir avec la jolie croco.
Un cochon tente de le doubler pour sauver sa couenne, peine perdue.
Puis un petite fille essaie de lui apprendre la civilisation et la nourriture qu'on achète, ça ne prend pas mieux. Monsieur Crocodile en profite pour dévorer des gens la nuit. Finalement mis en zonzon, il rencontre les parents de la petite qu'il libère du pénitencier.

Il campe un Monsieur Crocodile ignorant, mais malin et persévérant. Et c'est ce tempérament primaire et primitif qui le sauve dans la jungle urbaine, et même mieux, qui lui assure son insertion sociale.
Un passage nous renvoie à "Animal farm" de Orwell, lorsque le cochon, qui dans son plan prévoit de livrer des congénères au crocodile, tente de les convaincre. Les yeux hallucinés et le sourire narquois rappelle le tyrannique César. Mais ici le populiste est pris à son propre piège.
© Sfar, Gallimard Jeunesse
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Toutefois Loïs place directement les archosauriens parmi les personnages de mauvaise vie. Comme preuve, les deux illus suivantes.
La première, parue dans le premier numéro de la revue, nous montre trois lascars se tenant à l'affut de l’hilare hippopotame, qui ne va pas tarder à savoir que c'est pas son jour. Sont-ce là de lointains cousins du croco de Gotlib qui a fini en sacs et chaussures de luxe à cause d'un irascible hippo, décidés à le venger ? (voir plus haut) En tous cas ils respectent un gag que le maître Marcel a maintes fois mis en case.

La seconde illustration est celle qui a composé le poster-pub du n°3 (printemps 2014), qui témoigne de la brutalité de l'amphibien animal. Bref, inutile de compter sur Julien Loïs pour refaire la réputation des crocos...
© Julien Loïs, Aaarg! Editions.
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