Les Romans de Renart


Renart assis tenant un phylactère
Dans l'avant-propos de sa version du "Roman de Renard" de 1958 *, Maurice Genevoix résume ainsi de quoi il en résulte : "ce sont là des contes, ou dits, mis en vers par des trouveurs du XIIème au XIVème siècles, d'inspirations, de langues, d'accents et de qualités divers en dépit du fonds commun, très ancien et très vénérable, vieux comme le monde, où puisaient ces arrangeurs."
Rechercher l'origine propre de ces écrits s'avère compliqué, aussi laissons cela aux érudits. Notons simplement que ce "Roman de Renart" n'est en rien un roman comme il est entendu au Moyen Âge, mais appartient au genre des fabliaux, histoires répétées et populaires, où la satire n'a d'autre but que de faire rire.
Sainte-Beuve, en 1853, informait ses lecteurs à propos  de l’œuvre en ces termes : "Partout c'est la gausserie de la nature humaine, la fable de ce bas-monde, l'esprit de renardie opposé à celui de chevalerie et le plus souvent parvenant à en triompher ; en un mot, c'est la parodie de la nature humaine prise dans tous ses vices."

* illustrée par André Pec, un artiste-poète qui dessina dans les années 50 la rubrique de Rose Dardennes "Radio 4 vents" dans FRIPOUNET ET MARISETTE.. Il illustre, entre autre, un recueil des Fables de La Fontaine édité par Flammarion en 1952.

Renart et Chantecler, gravure sur bois de Victor Stuyvaert

Renart est un goupil, bien avant que son patronyme ne devienne le nom commun du canidé genre vulpus qui le désigne depuis lors, du fait du succès de ces récits. Seigneur de Maupertuis, plus souvent le ventre vide que rempli, il use et sur-use de stratagèmes et belles paroles pour tromper ses compères et acquérir ce qu'il convoite. Le goupil est rusé. Même s'il lui est supérieur en force, le fieffé canidé s'en prend au loup, l’orgueilleux Ysengrin, qui rassemble la brutalité et le manque de finesse. Ce coquin n'hésite pas non plus à provoquer les hommes, terribles ennemis secondés par les chiens, approchant basses-cours et lardiers. Mais loin d'être héros, Renard subit des revers plus souvent qu'il ne le souhaite. Même une mésange le berne. Mais bientôt sonne l'heure de son procès, la société devra le juger.

Une scène vue par Allaert van Everdingen (1621-1675)

Les récits évoquent une flopée de personnages, d'où l'on peut retenir le roi Noble, un lion, l'ours Brun, le coq Chantecler, Tybert le chat, Bruyant le taureau, Beaucent un sanglier, Tiécelin le corbeau qui se fait voler son fromage, dames Hermeline et Hersent, respectivement épouses Renart et Ysengrin, le cousin blaireau Grimbert, Couard le lièvre etc. Chaque protagoniste, bien qu'adoptant des comportements humains, conserve ses caractéristiques animales, et se débat dans une société où, comme l'écrira plus tard un fabuliste qui n'a pas oublié de lire "Le Roman de Renart", la raison du plus fort est toujours la meilleure. Manger ou être manger, telle est la règle universelle de la faune. La société féodale est sans pitié pour le faible, la noblesse et l'Eglise accaparent économie et spiritualité. Ces fabliaux, colportés à travers les campagnes, offrent aux populations une occasion de s'en échapper et d'en rire.

Plusieurs auteurs de bande dessinée se sont emparés de ce classique de la littérature. Nous intégrons ici certains ouvrages qui ne sont pas des bandes dessinées, mais des livres illustrés par des auteurs de BD (Rabier, Hausman, Trubert). Et nous intéresserons surtout au versant dessiné de ces livres, laissant de côté les écrits. Des textes de valeurs inégales, moralisateurs ou non selon les époques, souvent adaptés pour un jeune lectorat, il est toujours préférable de se référer aux versions originales afin d'en goûter le sel.


BENJAMIN RABIER


Benjamin Rabier, dessinateur animalier par excellence, s'y attaque dès le début du XXème siècle. Il illustre l'adaptation proposée par Jeanne Leroy-Allais éditée par Tallandier en 1909, destinée à un jeune lectorat, dont le titre est "Le roman du Renard". L'ouvrage présente 305 compositions dont 25 hors texte en couleurs et 16 en noir, tel que précisé en page de titre. Rabier met en scène des animaux nature, non vêtus et dans leurs aspects réalistes. Ils les distingue ainsi des hommes et femmes qui interviennent dans les histoires. Néanmoins il leur prête de nombreuses attitudes humaines, les faisant marcher sur deux pattes ou les asseyant sur leur postérieurs, se servant de leur membres antérieurs comme bras et mains. Renard et sa famille logent dans une maison, de même que Ysengrin et Dame Giremonde. Ils consomment des mets d'humains, et les cuisinent tout pareillement. Mais c'est surtout dans les expressions qu'il donne aux visages que Rabier rapproche ces animaux de la gente humaine. Les yeux et gueules expriment des sentiments fort éloignés de la bestialité, accentués par la disposition des sourcils ou l'apparition des dents, traduisant de fait la colère, le rire, la peur, le doute et bien d'autres. L'anthropomorphisme est suggéré.

Noble, Renard et Ysengrin
En y regardant de plus près, on devine même sur certains troncs d'arbres un visage se dessiner, ajoutant à la fantaisie du récit. On ressent alors la délectation du dessinateur qui se complaît à situer ces scènettes dans une campagne idéalisée, que l'on imagine contemporaine, bien éloignée du Moyen Âge originel.


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J. P. PINCHON


L'éditeur Delagrave publie sa version pour les enfants en 1920. Le titre varie puisqu'il s'agit là des "Aventures de Maître Renard". L'adaptation est signée de Georges Le Cordier, et il confie l'illustration à un de ses dessinateurs maison, Joseph Porphyre Pinchon. Le créateur de la déjà célèbre Bécassine opte pour un graphisme proche des enluminures médiévales. Il intègre ses personnages dans les lettrines, il cerne le texte de frises où se déploient animaux à travers des volutes signifiant une végétation stylisée. Il ajoute de belles illustrations pleine page. Le résultat, de format à l'italienne, offre une magnificence qui n'envie en rien aux illustres manuscrits des temps jadis. D'ailleurs les gothiques de couvertures confirment cette volonté de s'approcher d'une œuvre du Moyen Âge.


Le Renart de Pinchon est réaliste aussi, mais de son visage se dégagent ruse et sournoiserie, qui trahissent d'emblée le caractère du personnage. Fidèle aux versions originales, le dessinateur fixe l'action dans les temps médiévaux. Les animaux, bien que représentés de façon naturelle, sont vêtus, se tiennent debout, anthropomorphes à souhait. Pinchon évite les rictus trop prononcés, mais agit encore une fois, tel Rabier, sur les regards pour faire paraître les émotions.
Drapés dans de somptueux costumes, harnachés d'armure ou dépenaillés, les protagonistes présentent une vision à la fois idéalisée et caricaturale de la société médiévale, qui accentue le caractère satirique du récit.


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JEN TRUBERT



Jean (ou Jen) Trubert a livré plusieurs versions du "Roman de Renart", pour BRAVO, VAILLANT et AMIS-COOP.
Ancien de MON CAMARADE et illustrateur admiré de VAILLANT, Jean Trubert se voit confier l'accompagnement dessiné d'une adaptation des exploits du goupil signée Georges Cheylard, dont le premier chapitre paraît dans le n° 599 daté du 4 novembre 1956. La série comprend 41 épisodes, s'étendant sur autant de semaines. En fait il s'agit d'une reprise, car Trubert avait déjà réalisé des illustrations du Roman pour l'hebdomadaire belge BRAVO ! en 1949/50.

Le dessinateur campe des personnages anthropomorphes, mais qui gardent leurs aspects naturels. Vêtus peu ou prou, de costumes qui suggèrent que l'action se déroule au Moyen Âge, les animaux se tiennent parfois debout, ou bien cavalent à quatre pattes. Dessinateur animalier émérite, Jen Trubert nous livre en son style remarquable des bestioles aux attitudes tout en mouvement, alliant caricature et réalisme, qui ajoute à la gaberie du texte. C'est le coté humoristique du Roman qui en ressort alors.

Renart présente une tête toute en finesse, un long museau doté d'un sourire malicieux et des yeux pétillants qui reflètent l'espièglerie. Ysengrin possède à l'inverse une gueule hideuse et un regard rougeoyant qui accentuent sa bestialité.




Inédites en album, ces illustrations sont reprises en un livre édité par sa fille Chantal et son Club des Amis de Jean Trubert à l'occasion du centenaire de la naissance de l'artiste en 2009.

Le Renart d'Uderzo. Pas mal, non ?
Il est une anecdote connue dans le petit monde de la BD, qui veut que Trubert et son Renart soient indirectement à la source de la création d'Astérix. Uderzo confia dans une lettre à Chantal Trubert qu'à l'époque où il cherchait avec son ami Goscinny un personnage pour le lancement de PILOTE en 1959, le duo pensa mettre en scène le Renart du Roman. Raymond Poïvet, en ayant eu vent, les informa que le sieur Trubert avait déjà traité le thème dans VAILLANT. Aussi les deux futurs papas du petit gaulois s'orientèrent vers autre chose, la suite est connue.

Amis-Coop n° 185
Mais l'artiste n'en a pas fini avec le compère Renart. Ainsi en 1970 Jean Trubert réalise pour le mensuel de la Coopération Scolaire AMIS-COOP une version BD, qui paraît en 1976-1977, sous forme de récits courts. Le style est un peu plus caricatural, mais les animaux gardent ce même aspect naturel, quelques vêtements recouvrent les pelages, ils sont bipèdes pour la plupart. Trubert brode quelque peu avec le récit d'origine, quelques histoires de trois planches paraissent de manière décousue, mais le résultat reste plaisant, du fait du talent du dessinateur. Renart se révèle un être fourbe et rusé, ses comparses plus benêts tombent dans ses pièges, ce qui met le roi Noble en fort courroux. Gare au goupil !

Amis-Coop n° 188

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RENÉ HAUSMAN



L'édition de 1970
Un autre illustre artiste animalier nous a apporté sa vision du "Roman de Renart", le gargantuesque René Hausman. Pour la collection 'Terres Entières' de Dupuis, il propose une version particulière, en illustrant son propre texte qu'il rédige en vieux français. Le livre est publié une première fois en 1970, il sera réédité plus récemment en 2012 intégré dans la collection 'Patrimoine'.
Lorsqu'il réalise cet ouvrage, Hausman vient de terminer celui consacré aux Contes de Perrault. A la recherche d'un nouveau style, on remarque une touche différente par rapport à ses œuvres antérieures, entre gouache et écoline, et une constante évolution au long des pages. Ces compositions me font penser à celles que réalisa Alberto Breccia en fin de carrière, notamment les récits repris dans l'album "Dracula" des Humanoïdes Associés. Le traitement des êtres humains, tortueux et torturé (de même pour les arbres), s'oppose à celui des animaux plus en nuance. N'oublions pas que le Roman s'évertue à dénoncer les travers humains, et que par ce biais Hausman en rajoute au texte.

Verso de l'édition de 1970

Dans la préface, il précise qu'il a découvert le Roman dans sa jeunesse, et que l’œuvre l'a marquée. Il apprécie notamment la liberté du goupil face aux puissants, qu'il conspue et moque. Il s'est donc évertué à montrer un Renart sympa (sauf quand il vole la vièle d'un troubadour). C'est ce que l'on constate à la vue de cet animal au pelage rougeoyant, à la truffe en pointe et au sourire malicieux. Comme le suggère la couverture, Renart fait danser son monde.

Peut-on accorder confiance à un tel goupil ?

José-Louis Bosquet termine ainsi sa préface de l'édition 2012 : "Je me sers des animaux pour instruire les hommes", disait La Fontaine. L'humilité de René Hausman dut-elle en souffrir, toute son œuvre semble faire écho au crédo du fabuliste. A un détail près : le grand dessinateur animalier considère que ce sont les animaux qu'ils l'ont instruit de la nature des hommes".
Merveilleux !

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J-M. MATHIS & T. MARTIN

Il nous faut attendre le XXIème siècle pour apprécier une série reprenant le Roman en BD. Renart intéresse toujours ? C'est un fait, les filouteries du goupil sont intemporelles, et représente une base inépuisable en matière d'aventures pour des scénaristes. Deux copains des Beaux-Arts de Nancy s'y attèlent donc.
L'idée vient de Jean-Marc Mathis qui s'associe à Thierry Martin pour la mise en images. Ils produisent trois albums qui sortent dans la collection 'Jeunesse' de Delcourt, en 2007-08-09.
On peut suivre leurs motivations, leurs choix d'adaptation ou le fonctionnement du duo dans une vidéo ici : http://www.ecoledesloisirs.fr/video.php?id_video=100&rub=TOUSNOSAUTEURS&AUTEUR=1281;Martin

Leur Renart a une tête de vaurien, de bandit, du fait de ses gros sourcils, un truc de bédéiste. Comme les personnages principaux, il est anthropomorphe, arborant une jolie queue tout en panache. Les auteurs cultivent sa roublardise et son intelligence, mais aussi sa cruauté et son manque de scrupules. Il mettent aussi l'accent sur le fait que Renart est homme du peuple, pas noble pour un sou, et que, notamment lors de son procès, il ne respecte ni les puissants, ni les faibles. Nécessité fait loi !

Dans le puits, tome 2, planche 13

Ysengrin ou Brun apparaissent comme de gros bêtas, les autres compères se font tout autant attraper par les ruses du coquin, et on se dit que c'est bien fait pour eux. Il n'y a que le pauvre Droineau qui inspire compassion. Faut dire que Renart croque ses neufs enfants !
Parmi tous ces protagonistes bipèdes et vêtus, on remarque toutefois certains animaux restés tels quels, les chiens domestiques.
Chaque album, de 30 planches, rassemble plusieurs histoires en récits courts. Le 1er, "Les jambons d'Ysengrin", s'attache aux déboires que connaissent Ysengrin, Tybert et Primault face aux fourberies d'un Renart triomphant. Le second, "Le puits", nous conte la cruauté du goupil avec Drouineau, ou comment il berne Ysengrin et Brun. Le 3ème, "Le jugement de Renart", se concentre sur le procès à la cour de Noble.


Le tout représente une excellente approche de l’œuvre, orientée vers un public jeune, très agréable à parcourir, et inciterai les lecteurs à se plonger dans le texte original. Ce nihiliste de Renart le vaut bien.


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BRUNO HEITZ


A la même période que les précédents Bruno Heitz s'empare du goupil et adapte ses mésaventures de façon plus romanesque. Deux albums paraissent dans la collection 'Fétiche' chez Gallimard, en 2007 et 2008, puis une intégrale en 2014.


L'auteur des enquêtes de Hubert l'épicier-détective ou de la taupe Louisette reprend quelques chapitres parmi les plus connus et réalise une œuvre très personnelle. Le premier tome s'attache aux mauvais tours que le renard joue au loup, le vol des bacons, la menterie des moines, la pêche aux anguilles... Dans le second volume le goupil qui doit comparaître devant le roi Noble pour être jugé, s'en va par les chemins demander grâce au Pape. Mais s'il n'arrive au pontife souverain, il en profite pour jouer quelques coups pendables à Tybert le chat, Pincart le héron ou l'ours Brun. Il finit même par s'accorder les bonnes dispositions de Noble. Trop fort le goupil !



Ce Renart, bien qu'il ne renie ses méfaits, tente d'échapper à son sort en pensant demander repentance auprès du pape. Il nous apparaît fragile et l'on pourrait ressentir de la compassion pour ce pauvre pêcheur, pourtant sans scrupules. Il déjeune du héron Pincart avec appétit ou dévêt Hersent pour faire de sa culotte un étandard. Le loup par contre se révèle droit dans ses bottes, sûr de son bon droit et de sa force, mais imbécile à souhait. Ce qui permet au coquin canidé roux de le berner et voler à volonté, en affichant un grand sourire.


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Renart héros intemporel, a-t-on pu dire plus haut, un personnage qui subjugue ou du moins inspire, aussi certains auteurs le remettent au goût du jour, ou le prépare à leur propre sauce. Le duo inédit Jean-Claude Forrest et Cabanes livrent leur version en 1978. Fin des années 70-début des années 80 Jean-Gérard Imbert et Jean-Louis Hubert en font un polar dans la pure tradition roman noir. Bien plus tard en 2007 c'est le dénommé Dimitri qui revisite le Roman. La série "De crocs et d'épées" s'en inspire en partie. Bref, le Renart est finalement un ingrédient qui apporte une saveur et un sel particulier à la cuisine BD.

IMBERT & J-L. HUBERT
LE POLAR DE RENARD


Scénar de Jean-Gérard Imbert, dessins de Jean-Louis Hubert, première parution en 1978 dans BD, l'hebdo format journal des éditions du Square. Un album souple sort l'année suivante, réédité par Dargaud en 1982 sous une couv' type 'Série Noire'. Les deux aventures suivantes paraissent dans CHARLIE MENSUEL (2ème mouture) en 1981 et 1982, publiés en album en 1982 et 1984 par le repreneur Dargaud.

On est dans le Paris des années 70, Goupil est un loubar tendance anar qui vit de larcins et autres magouilles. Comme d'hab. Avec comme toile de fond des élections où Tibert et Panurge se disputent la place de député, il se retrouve dans une histoire puante de corruption, de politiciens véreux, de flics ripoux, et d'agissements pas clairs des voyous de l'extrême-droite. Isengrin est une petite frappe, qui recherche son intérêt sans se soucier de celui des autres, ici à la solde du député Tibert, allié au commissaire Chantecler. Témoin du meurtre d'un colleur d'affiche pro-Panurge par Isengrin, le renard va affronter tout ce petit monde, échapper aux uns et aux autres, découvrir ce qui les relie, et avec l'aide de son pote Patous l'ours et d'autres lascars, les coincer.


On se retrouve à une époque dominée par la politique toute puissante où la raison d’État permet tous les coups tordus, une époque marquée par la montée du FN et l'affrontement avec l'extrême-gauche. Chirac maire de la capitale, Giscard président, Mitterrand en embuscade, des années où l'idéologie est à l'agonie, où le mouvement punk enterre les guitar heroes et où le Sida commence à frapper. C’est cette ambiance qui ressort magistralement dans le 1er tome paru en noir et blanc.

Dans le second tome, en couleurs, Goupil est aux prises avec une secte néo-nazie, où Isengrin est le sbire d'un gourou aux allures hitlériennes, à la tête d'étranges créatures hybrides croisements de loup et de chauves-souris, les ravageons. Le nouveau führer-vampire et ses nazillons préparent un putsch afin de renverser la République. Tibert est à nouveau pris dans l'intrigue, ainsi que Chantecler. L'aventure se poursuit dans le troisième tome.


Les personnages anthropomorphes se baladent pieds nus, et certains portent des gants comme chez Mickey. On constate une grande variété d'espèces, à poil, à plumes, des mammifères, des oiseaux, des reptiles.
Le style graphique est réalisto-caricatural, les trognes ne sont pas piquées des vers, et les répliques, mâtinées d'argot, frappent comme les balles. Récit cru et violent, on est dans le polar à la Manchette, une subtile évocation contemporaine du Renart originel. On y retrouve la plupart des personnages du Roman, Line est la copine de Goupil, Hersent est une louve prostituée, Mouflart le vautour journaliste, de roi Noble est devenu Président, avec la tronche de Giscard. Replacé dans le contexte des années 80, ce polar s'inscrit pleinement dans le cycle de Renart, une satire populaire et saignante de son époque.

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DIMITRI
LA MALVOISINE
Joker Editions, 2007.


"Dimitri aime se promener dans la forêt briarde. Habitant Mauperthuis, il est à deux pas de la forêt appelée Malvoisine. Un jour de balade, il lit sur un panneau que l'on situe "Le Roman de Renart" à cet endroit. habitant la maison jadis occupée par Théophile Gauthier, il s'est senti investi d'une mission dont le résultat est cette merveilleuse histoire, une remarquable parodie de ce recueil de récits du moyen-âge".
Ainsi l'éditeur Thierry Taburiaux avertit-il le lecteur de ce récit, réalisé par Guy Sajer alias Mouminoux alias Dimitri.

Celui-ci replace l’œuvre dans son contexte originel, géographique et historique, reprenant les principaux acteurs animaux, ajoutant une touche réaliste par la présence de protagonistes humains, le seigneur de Mauperthuis et Elyse de Franconie, sa rivale. Cette blonde et gaillarde amazone ambitionne de s'emparer du fief du vieil homme (une tour et la forêt), mais celui-ci refuse. Pour résister aux assauts guerriers des sbires de la belle, il entend obtenir l'aide de ses sujets animaux, à commencer par celle de maître Goupil, avocat de son état.

Mais l'homme s'aperçoit vite que ses vassaux ont d'autres instincts à assouvir plutôt que de combattre pour lui. Finalement le rusé renard lui suggère de lever l'impôt afin de lever une armée. Tous, Ysengrin, Baucent le sanglier, Chantecler, Tybert, Brun, le cochon, le cheval, le taureau, le lapin, jusqu'à Cornillot l'escargot, répondent alors à l'appel.
Et notre renard auto-proclamé général de se goberger tout en donnant ordres et établissant stratégie.
Finalement, devant la meute de chevaliers, la cohorte animale se délie et déserte, laissant le vieil homme seul. Mais, sans butin à se mettre sous la dent, les mercenaires aussi s'en vont voir ailleurs. La finalité s'avère singulière, comme le perçoit Mauperthuis, qui sauvegarde son fief.

Si les animaux apparaissent dans cette histoire sous des aspects peu reluisants, les humains ne montrent que leurs folies et ne valent guère mieux. En son style caricatural, Dimitri s'offre ici une occasion de brocarder les institutions, notamment militaires. Il campe des animaux perfides ou veules, ne répondant qu'à leurs instincts. Les prédateurs croquent le gibier et le coq assouvit sa libido. Il n'y a guère que lorsqu'il sont soldats que les bestiaux démontrent d'un ressentiment humain, mais c'est l'imbécilité qui en ressort.
Cet ironique récit, qui s'intègre pleinement dans le cycle des Renart, baigne dans une fantaisie salutaire, certainement perçue par Dimitri lors de ses balades dans la Malvoisine. De cette fable, point de morale, si ce n'est celle-ci : promenons-nous dans les bois, tant que le loup n'y est pas...

Le coquin berne Baucent et Ysengrin (pl. 12)


FOREST & CABANES


Nous ne ferons qu'évoquer l'adaptation réalisée par Jean-Claude Forest, ancien dessinateur de "Charlot", illustre créateur de Barbarella et scénariste de "Ici même" pour Tardi, et Max Cabanes, auteur de la série "Dans les villages" et de "Colin maillard". En effet, s'il s'agit bien du Roman, les personnages sont des humains portant des masques pour évoquer les protagonistes animaux.


Saluons toutefois cette version truculente et un brin érotique, au graphisme noir et blanc exigeant, aux textes construits en un savoureux mélange de vieux français, d'argot et de néologismes, une commedia dell'arte de papier en quelque sorte. Même si l'on nous précise en planche 1 qu'il s'agit d'une version adaptée du Roman de Renart avec "moults liberté et distances", l’œuvre se révèle structurellement plutôt fidèle.

L'arrivée du Renart chez l'Ysengrin, le début de la querelle (pl. 6)











Elle est est d'abord pré-publiée dans les huit premiers numéros de (A SUIVRE) en 1978, puis éditée en un album par Futuropolis dans sa collection '30x40' en 1985. Devenue introuvable, Les Humanos la ressortent en une version luxe grand format en 2012.




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F'MURRR


Le fameux créateur de la série "Le génie des Alpages" et auteur des "Contes à rebours" invite notre compère goupil en prologue de "Tim Galère" paru en chapitres dans (A SUIVRE) en 1982/83 (sous le titre "Le fils de Jéhanne d'Arque"). Retranché dans son château, le forban accusé de moult forfaits doit comparaître devant le roi Noble. Mais il n'accompagnera son cousin Grimbert que si celui-ci lui conte les aventures de la pucelle Jehanne.
F'murrr, habitué aux digressions littéraires, utilise un passage célèbre du Roman pour introduire une histoire fort peu éloignée de l'esprit des fabliaux. D'ailleurs il ne se gêne pas pour insérer le futé personnage plus tard dans le récit, au grand dam du blaireau. Goupil apporte ainsi quelques conseils au fils de Jehanne, avec un clin d’œil à un certain Petit Prince. F'murr est un grand. On a affaire là à un renard qui fait étalage de son intelligence tant que de sa fourberie.

Le fils de Jehanne reste perplexe...


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AYROLES & MASBOU
DE CAPES ET DE CROCS


De même il convient d'évoquer cette série (développée ici) dont les deux principaux protagonistes sont un loup et un renard. Leurs patronymes témoignent, entre autre, de leur filiation avec le Roman. Le premier se nomme Don Lope de Villalobos Y Sangrin, un cousin espagnol d'Ysengrin ? Le goupil quand à lui n'est autre que Armand Raynal de Maupertuis, donc descendant du Renart himself.
Leurs aventures se déroulent dans un XVIème siècle fantasque, où interviennent diverses figures typiques des romans qui se déroulent à cette époque.
Partis à la chasse au trésor, leur odyssée les mènera en terres inconnues, et jusqu'à la Lune même.

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CAPRON & MICOL
LA LOI DE LA FORÊT


Dans le genre iconoclaste la version proposée par les deux compères Jean-Louis Capron et Hugues Micol se pose là. Les auteurs du déjanté "Chiquito la muerte" s'emparent du mythe renardien pour en retrouver la source, enfin celle qu'ils ont imaginée.

"La loi de la forêt" est une bande animalière, les personnages sont des animaux bipèdes, sommairement vêtus d'oripeaux, habitant un village forestier appartenant au royaume du seigneur lion, en une époque intemporelle ou plutôt anachronique (en témoignent habits ou dialogues).

Le synopsis ? Deux losers dessineux, Falzard et Gaubert, un raton-laveur et une sorte de dodo, se font piéger par Renart qui leur impose de mettre en images ses exploits fictifs dans le but d'humilier son cousin Ysengrin. C'est le début d'une série de méprises, de rebondissements et de retournements de situations délirante.


Le pamphlet plaît au roi, à la populace, mais déplaît à Ysengrin, un cruel business man, euh... wolf. Les deux couillons échappent à la mort de justesse, mais dépossédés de leur œuvre, y gagnent que tchi, à part des emmerdes. Des innocents trinquent à leur place. Suite au succès de la BD anonyme, tout le monde revendiquent ses droits et produisent des pirates. Bref un joli foutoir hilarant.

Planche 19

Outre le goupil et le loup, on y retrouve plusieurs personnages du Roman, notamment Tybert, un nervi d'Ysengrin, ou la sensuelle Hermeline dont Falzard tombe amoureux. Évocation satirique du petit monde de la BD, dénigrement de la société moderne ou foutage de gueules, "La loi de la forêt" est une BD rigolote avant tout. Dommage, elle n'est parue que dans FERRAILLE ILLUSTRÉ, la défunte revue des Requins Marteaux (à partir du n°21, en 2003), donc pas facile à dégotter. On attend l'éditeur qui aura la sublime idée d'en proposer une version album. Le libraire Migenel se fera un plaisir de la mettre en vente.


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